Principes d’interdépendance

Principes d’interdépendance

À l’entrée des bureaux de la Fondation David Suzuki, situés dans la Maison du Développement durable à Montréal, une énorme tapisserie représentant une forêt se dresse fièrement. Cette murale, à la fois colossale et apaisante, signale à tout visiteur qu’il entre dans un monde isolé de la forêt d’acier et de béton qui l’entoure; forêt charlatane, véritable usurpatrice. La stridente fanfare automobile du centre-ville s’éteint pour ne devenir qu’un distant bruit de fond.

La nostalgie (ou est-ce peut-être l’instinct?) nous joue des tours : on peut vaguement entendre des oiseaux chanter au loin et une douce brise caresser les feuilles unidimensionnelles. Cette brise, on la sent presque sur nos joues.

En avant-plan figure un texte imprimé en lettres blanches et parfaites : contraste moderne contre la forêt intouchée, manifestation de l’omniprésence des technologies de l’information. On lit:

 

La Déclaration d’interdépendance

 

Nous sommes la Terre, par les plantes et les animaux
qui nous donnent notre nourriture.
Nous sommes les pluies et les océans qui coulent
dans nos veines.
Nous sommes le souffle des forêts et les plantes de la mer.
Nous sommes des animaux-humains, reliés à toute vie,
descendants de la cellule primordiale.
Nous partageons l’histoire de cette famille des vivants,
inscrite dans nos gènes.
Nous partageons le présent, qui mine l’incertitude.
Nous partageons l’avenir, qui reste à inventer.
Nous ne sommes qu’une espèce parmi les trente millions
qui tissent ce mince voile de vie enveloppant
la planète.
La stabilité des communautés vivantes dépend
de cette diversité.
Nous sommes les maillons de cette chaîne,
consommant, purifiant, partageant et renouvelant
les éléments fondamentaux de la vie.
Notre demeure, la planète Terre, ne peut fournir
des ressources infinies, toute vie partage
les richesses de la Terre et l’énergie du Soleil
et ne peut donc connaître une croissance illimitée.
Pour la première fois, nous avons atteint les limites
de cette croissance.
Quand nous mettons en péril l’air, l’eau, le sol
et la diversité de la vie, nous volons l’infini à l’avenir
pour satisfaire un présent éphémère.

 

Ce texte porte à réflexion, surtout lorsqu’on considère sa localisation : au cœur de Montréal, cette métropole pavée, bourdonnante de véhicules et parsemée de tours à bureaux. Dans un endroit si isolé de la nature, il est facile d’oublier notre dépendance sur cette dernière. La biodiversité et la richesse écologique qui ont été éliminées pour laisser place aux gratte-ciels, c’est sur elles que s’accroche notre fragile viabilité en tant qu’espèce.

Les effets des changements climatiques se font de plus en plus ressentir : les ouragans augmentent en intensité et en fréquence, des îles sont englouties, la température mondiale monte, les rendements agricoles diminuent et les feux de forêt font ravage. Dans le cadre d’une planète de plus en plus hostile à la vie humaine, les villes se précipitent pour adopter des mesures afin de faire face aux catastrophes naturelles imminentes. Nous assistons à la naissance de la Ville du futur : moderne, robuste et résiliente face aux catastrophes naturelles.

La nécessité de s’adapter stimule une vague d’innovation en urbanisme, en architecture et en ingénierie, entre autres. On voit l’arrivée de digues protectrices, de systèmes d’irrigation modernes, de produits agricoles plus robustes et de systèmes d’agriculture urbaine. Bien qu’elles permettent à l’humain à persévérer face à cette nouvelle ère climatique qu’il a engendrée, les innovations d’adaptation comportent un risque important. Tel un voile de lettres en plastique placées en avant-plan d’une forêt, l’armure que constituent ces inventions protègent de plus belle l’humain de son habitat à son état naturel – et l’isolent ainsi davantage des perturbations qu’il lui inflige.

C’est pourquoi les villes doivent à tout prix englober le principe d’interdépendance telle que décrite sur le mur à la Fondation David Suzuki. L’humain dépend de l’écosystème mondial pour sa subsistance et doit reconnaître qu’il n’est qu’un maillon dans cette complexe chaîne. Si les villes n’intègrent pas ce concept, elles seront résilientes, certes, mais aussi éventuellement désertes.

 

Émilie Campbell