Rencontre avec M. John Parisella : Élections présidentielles États-Uniennes

Rencontre avec M. John Parisella : Élections présidentielles États-Uniennes

Rencontre avec M. John Parisella : Élections présidentielles états-uniennes
Le 3 novembre dernier, nous étions heureux de nous entretenir avec M. John Parisella, lors d’un dîner conférence avec nos collègues du Club Richelieu Montréal.

Étant donné le contexte politique américain mouvementé de l’automne 2016, seulement sept jours avant la fin d’une campagne atypique qui aura duré plus de trois mois, nous ne pouvions négliger cette excellente occasion de discuter des élections présidentielles états-uniennes avec lui.

Plongeons-nous dans le contexte : L’élection présidentielle états-uniennes de 2016 permettra d’élire, le 8 novembre, le 45e président des États-Unis, qui entrera en fonction le 20 janvier 2017. Ce sera la 58e élection présidentielle états-uniennes depuis 1788.

Monsieur Parisella souligne que cet affrontement fut exceptionnel en raison de la division identitaire saisissante qui vient d’atteindre son paroxysme entre le parti démocrate derrière Mme Clinton et le parti républicain, agencé pour M. Trump. Il rappelle que la crise économique de 2008 a fait très mal aux États-Unis. En effet, non seulement la confiance du peuple en ses institutions démocratiques en était-elle ressortie passablement écharpée, l’événement avait exacerbé l’insatisfaction de nos voisins du Sud quant à la faible écoute qu’accordent leurs élus à leurs inquiétudes, notamment en ce qui concerne le statut du pays comme chef de file sur la scène internationale.

À cet effet, le personnage Trump détonne du cadre habituel. Il incarne l’homme d’affaires prolifique, confiant et déterminé qui n’est pas un politicien. Il brise le moule étant lui-même désavoué par plusieurs têtes d’affiches de son propre parti. Notre spécialiste nous faisait remarquer que M. Trump n’est pas un mouvement, ni une vague. Bien que ce dernier accumule les victoires sur sa route électorale, il les obtient rarement avec plus de 30% d’appui. Il constitue donc plutôt un compromis attrayant pour ceux souhaitant enfin rompre avec « l’establishment ».

Contesté perpétuellement tant par ses pairs que par le camp adverse, ce candidat vedette en met plein la vue et brise les barrières, qu’on aime ou non ses méthodes. Malgré un automne difficile, il persévère au-delà des allégations d’harcèlement sexuel, de racisme et de dénigrement des personnes handicapées.

Quant à Mme Clinton, politicienne et gestionnaire de longue date, habituée des victoires franches qui avoisinent les 60% ainsi que des rouages intimes de la Maison Blanche, elle connaît depuis un an les premiers écueils sur le chemin de sa carrière, jusqu’alors pavé de succès, poursuit M. Parisella. Le populisme de Bernie Sanders fut très inspirant pour une jeunesse démocrate assoiffée de changements. Ce dernier se définissait même plus socialiste que démocrate, ce qui brise fondamentalement avec la tradition du parti, en plus de procurer à Mme Clinton le rôle inusité d’une ancienne garde plus conservatrice au sein de l’organisation politique. Tirée vers la gauche durant la dernière année, la candidate mena une campagne régulière et constante, se satisfaisant de contempler son rival s’empêtrer lui-même dans la machine médiatique.

En dépit d’allégations de gestes criminels associés à la destruction de plus de 35 000 courriels dans ses dossiers personnels, de sa participation à l’orchestration de l’invasion de la Lybie ainsi que de sa prétendue implication dans le façonnage de l’État islamique, elle poursuit doucement mais surement sa route vers le poste de première femme présidente de l’histoire des États-Unis.

Face à la méfiance nourrie de nostalgie des électeurs états-uniens, M. Trump remet en question l’ALÉNA, les nouvelles ententes avec l’Iran, l’armement en nucléaire pour l’Arabie Saoudite, la rivalité avec la Russie, les frontières avec le Mexique, etc. Le vent du protectionnisme souffle très fort sur sa campagne en cette période de signatures d’ententes de libre-échange entre l’Amérique et l’Europe. En fin de campagne, notons que celui-ci parcoure stratégiquement les États démocrates, ce qui peut lui procurer une allure confiante escomptée, rappelle M. Parisella.

Pour sa part, Mme Clinton poursuit par association le mandat du président Obama, toujours en poste, sorti indemne d’une année mouvementée et riche d’un « cool » désarmant. Elle milite activement pour entretenir un capital relativement sympathique des interventions du pays au Moyen-Orient mais tente par-dessus tout de récupérer une image de proximité pour le public et les familles, un lien de confiance, une écoute et une autorité maternelle et compréhensive. Dans le dernier droit, celle-ci demeurera humble et discrète, s’imposant pour des électeurs qui doutent de plus en plus de la démocratie comme l’unique vainqueur crédible et vraisemblable pour la première puissance mondiale.

Parisella nous faisait remarquer que la démocratie des États-Unis demeure très singulière de par ses contradictions identitaires. Ce pays, né dans le tumulte de l’avènement des droits et libertés de l’homme, fut par exemple esclavagiste jusque tard dans son histoire. La guerre civile ne fut résolue qu’à la fin du 19e siècle et les divisions culturelles demeurent manifestes en ce début de 21e siècle. Par ailleurs, la ségrégation raciale aura perduré jusque dans les années 1960 et son ombre continue de planer sur sa société contemporaine, et ce n’est bien qu’au 20e siècle que les femmes ont accédé au droit de vote. Ainsi, son peuple doute fondamentalement du fonctionnement de l’appareil démocratique et, malgré tout, milite pour demeurer l’emblème international de cette même démocratie. Ce paradoxe est donc prenant.

À la blague, l’expert reprend alors la célèbre expression de Winston Churchill qui disait :
On peut s’attendre à ce que les États-Unis adoptent finalement le bon choix après avoir choisi tous les autres…

En prévision de l’élection, M. Parisella suggère aux curieux les firmes de sondages « Nat Silver » et « The Upshot », bien qu’il trouve la deuxième parfois imprudente. En réponses à nos questions au sujet de la valeur des « tracking polls », il nous conseille de les utiliser davantage afin de déceler des tendances plutôt que pour prédire des résultats. Il explique que l’échantillonnage des « tracking polls » se faisant aux quatre jours et en continu compose un échantillon trop petit pour énoncer sans équivoque des prédictions politiques.

À surveiller le soir de l’élection :

  • 270 est le chiffre chanceux, soit le nombre de grand électeurs requis sur 538 pour accéder à la présidence. Pour essayer d’anticiper le résultat, il faut donc savoir compter et combiner, puisque ce scrutin au suffrage universel indirect se joue selon un mécanisme particulier, non seulement à l’échelle nationale, mais également à celle des cinquante États.
  • Dans chaque État, le vote populaire se traduira en grands électeurs, dont le nombre varie en fonction de la population de l’État. Le candidat qui termine en tête dans un État y gagne tous les grands électeurs, sauf dans le Maine et le Nebraska, où le système est proportionnel.
    Par exemple : Emporter la Californie (38,8 millions d’habitants), assure au candidat 55 grands électeurs. Gagner le Montana (1 million d’habitants) lui assure 3 grands électeurs.
  • Au total, 538 grands électeurs sont en jeu, un chiffre correspondant au nombre d’élus au Congrès (435 membres de la Chambre et 100 du Sénat) plus trois grands électeurs pour la ville de Washington qui ne fait partie d’aucun État. Ce sont ces grands électeurs qui, techniquement, éliront le président et son vice-président le 19 décembre, une formalité. Pour gagner, un candidat doit donc obtenir la majorité des grands électeurs, soit 270, et si l’histoire est un indicateur, la tâche semble beaucoup plus facile pour la démocrate Hillary Clinton.
    Depuis 1992, dix-huit États ont systématiquement voté démocrate. Ils rassemblent 242 grands électeurs. Treize États ont sur la même période systématiquement voté républicain, mais ils ne pèsent que 102 grands électeurs. Une autre demi-douzaine d’États, en dépit de fluctuations passées, semblent solidement acquis au républicain Donald Trump.
  • Il ne reste qu’une dizaine d’États, appelés les États-clés, dont le résultat est plus incertain, et où Hillary Clinton et Donald Trump concentrent tous leurs efforts. Plus le nombre de grands électeurs y est important, plus ces États sont déterminants, comme la Floride (29 grands électeurs), l’Ohio (18) ou la Caroline du Nord (15), et Donald Trump et Hillary Clinton y retournent sans arrêt.
  • Le total de 270 peut aussi basculer grâce à l’addition de petits Etats, comme le Nevada, l’Iowa ou le New Hampshire, il est donc imprudent de les ignorer.

Prudent de prédiction trop hâtives, M. Parisella se contente de nous transmettre sa science. Il recommande d’explorer de multiples combinaisons, ajoutant l’Ohio, retranchant l’Iowa, faisant basculer un État démocrate ou un État républicain.

Peu importe les variations, la clé de l’élection est la Floride, le gros lot des États pivots. Sans la Floride, il sera « très difficile » à M. Trump de l’emporter. M. Parisella réconforte donc les partisans du clan Clinton : si l’idée d’une présidence républicaine vous donne des cauchemars et la Floride est démocrate, vous pouvez dormir sans craintes…

Pour conclure, voici un rappel des principaux États-clés, leur nombre de grands électeurs, et la moyenne des récents sondages au 28 octobre, pour chaque État, dans une course à 4, incluant les deux petits candidats, le libertarien Gary Johnson et la candidate des Verts Jill Stein.

  • Floride: 29 grands électeurs. Clinton 44,7% des intentions de vote, Trump 44% (Johnson 3,2%, Stein 1,6%) ;
  • Ohio: 18 grands électeurs. Trump 44,8%, Clinton 43,7% ;
  • Géorgie: 16 grands électeurs. Trump 46,3%, Clinton 43,5% ;
  • Caroline du Nord: 15 grands électeurs. Clinton 46,2%, Trump 43,8% ;
  • Virginie: 13 grands électeurs. Clinton 46%, Trump 38,8% ;
  • Arizona: 11 grands électeurs. Clinton 43,5%, Trump 42% ;
  • Colorado: 9 grands électeurs. Clinton 44,6% Trump 38,4% ;
  • Iowa: 6 grands électeurs. Trump 41,7%, Clinton 40,3% ;
  • Nevada: 6 grands électeurs. Clinton 45,3%, Trump 43,3% ;
  • New Hampshire: 4 grands électeurs, 44,5%, Trump 38% ;
  • Autre Etat intéressant cette année, l’Utah, qui vote républicain depuis 1968. Un candidat indépendant de confession mormone, Evan McMullin, 40 ans, s’est lancé dans la course en août et y talonnait jusqu’à récemment Donald Trump.

Sur ce, merci M. Parisella et bonne élection !

 

 Le Richelieu international, née à Ottawa en 1944, est maintenant la seule organisation internationale regroupant exclusivement des clubs sociaux d’expression française. En plus de favoriser l’épanouissement personnel de leurs membres en leur offrant toutes sortes d’occasions de fraterniser et de se cultiver, les clubs Richelieu pratiquent la philanthropie et contribuent financièrement à la réalisation de projets visant la protection de l’enfant.

– M. John Parisella eu l’occasion d’occuper plusieurs fonctions telles que directeur général du parti Libéral du Québec, chef de cabinet des premiers ministres Robert Bourassa et Daniel Johnson, président de BCP et délégué général du Québec à New York. Chroniqueur politique, professeur au secondaire pendant onze ans, puis professeur invité à Concordia et à l’Université de Montréal, il est passé maître des échanges enrichissants.